Le cerveau des singes reconnaît les voix humaines

Une étude novatrice, publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), le 11 juin 2024, révèle une population de neurones dans le cerveau des singes qui réagissent sélectivement aux voix humaines. Cette découverte, réalisée par une équipe de scientifiques de l'Institut des neurosciences de la Timone (AMU/CNRS) et de l'Institut du langage, de la communication et du cerveau, à Marseille, apporte un éclairage sans précédent sur les mécanismes neuronaux de la perception vocale et sur l'évolution des systèmes de communication chez les primates.

En utilisant l’électrophysiologie guidée par l’IRMf, les chercheurs ont enregistré l’activité des neurones individuels dans les aires vocales temporales antérieures de deux macaques. L’étude s’est concentrée sur les réponses des macaques à divers sons complexes, y compris des vocalisations de plusieurs espèces. Cette approche a permis à l’équipe de découvrir des neurones insoupçonnés hautement sélectifs pour les voix humaines.

Ils ont notamment identifié une sous-population de neurones dans les aires vocales temporales antérieures des macaques qui réagissent sélectivement aux voix humaines, séparément de ceux qui réagissent aux vocalisations des macaques. « Nous avons été très surpris de constater que de nombreux neurones préféraient en fait la voix humaine aux vocalisations des macaques », explique le Dr Margherita Giamundo, premier auteur de l’étude. « Ils étaient même plus nombreux que les neurones sélectifs aux voix de macaques ».

Ces neurones ont démontré une forte sélectivité pour les voix humaines, les traitant d’une manière similaire à celle dont les cerveaux humains traitent les voix, plutôt que de s’appuyer sur des caractéristiques acoustiques de bas niveau.

Les résultats suggèrent que la sélectivité de ces neurones est probablement due à la forte exposition quotidienne des macaques aux voix humaines. Le Dr Pascal Belin, auteur principal, ajoute : « Je doute que ces neurones existent chez les macaques sauvages, car ils n’ont pas été en contact significatif avec des voix humaines. La présence de neurones chez les macaques qui répondent spécifiquement aux voix humaines suggère un niveau remarquable de plasticité et d’adaptation neuronale, soulignant le lien complexe entre les humains et les animaux ». Cette découverte souligne l’impact de l’expérience environnementale sur le développement neuronal. « Les voix humaines sont plus pertinentes que les cris des macaques pour les singes de laboratoire », déclare le Dr Thomas Brochier, coauteur principal de l’étude. « Elles peuvent annoncer l’arrivée du vétérinaire (mauvaise nouvelle) ou de l’expérimentateur qui leur a été assigné (bonne nouvelle). »

Cette découverte est la première à démontrer l’évolution mécanismes neuronaux de la perception vocale chez les primates en faveur de la reconnaissance des voix humaines, mais d’autres études similaires ont été menées sur d’autres espèces. « Il existe de nombreux exemples d’espèces qui analysent les vocalisations d’autres espèces – proies ou prédateurs – mais cela implique une coévolution sur des millions d’années », explique le Dr Attila Andics, de l’université ELTE de Budapest (Hongrie), qui n’a pas participé à l’étude mais a découvert chez les chiens des zones sensibles aux voix humaines. « Il est probable qu’un mécanisme similaire à celui découvert dans cette étude soit également en jeu chez nos chats ou nos chiens. »

Cette découverte remet en question la perspective purement évolutionniste de la sélectivité vocale, suggérant que l’expertise et l’exposition environnementale jouent un rôle crucial dans la formation des mécanismes neuronaux. Elle améliore notre compréhension de la communication inter-espèces et de la base neuronale de l’expertise auditive, ce qui pourrait nous éclairer sur des mécanismes similaires chez l’Homme, tels que l’expertise musicale.

 

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Source : CNRS / Aix-Marseille université

Photo : Kamal Hari Menon / Shutterstock